Le Keris Balinais : Un Objet Puissant et Magique

Un keris ( vous dites Kriss, je crois ?) est une dague traditionnelle, parfois de forme ondulée, souvent droite. Aujourd’hui les keris ne sont portés que lors d’une danse ou lors des cérémonies de grande importance. Lorsque les Hollandais ont envahi l’Indonésie avec leurs fusils et équipements modernes, le keris a démontré son inutilité en tant qu’arme. Mais le keris n’a jamais été considéré comme une simple arme. C’était un objet rempli du pouvoir mystérieux de l’acier et des secrets de sa fabrication.
Tout l’art, la magie, consistaient à transformer du fer forgé en acier résistant. Un keris fait de fer forgé n’aurait pas été meilleur qu’une arme de l’Age de bronze. Fabriquer de l’acier avant l’âge technologique relevait d’une haute habileté qui n’était pas donnée à tout le monde. C’est pourquoi les forgerons capables de fabriquer un keris ont toujours été considérés comme des personnes très importantes.
La société balinaise est hautement influencée par la numérologie et le symbole des nombres. Le keris ne fait pas exception. Les pouvoirs magiques d’un keris résultent de la relation numérique qui existe entre les proportions de la lame et celle de la main de l’utilisateur. Posséder un keris aux mauvaises dimensions peut apporter beaucoup d’ennuis.
Il existe plusieurs façons de mesurer un keris pour déterminer ses caractéristiques. La façon la plus courante est tout simplement le rapport entre la longueur de la lame et sa largeur. Les Balinais utilisent généralement un morceau de busung, feuille de jeune noix de coco, pour mesurer la lame et la largeur d’un keris. Le busung est d’abord coupé à la même longueur que la lame, puis plié en deux. Ceci détermine le point central de la longueur de la lame. Le busung est ensuite plié comme un accordéon, chaque pli correspondant à la largeur de la lame à son point central. Cette unité de mesure est appelée lumbang rai. Les caractéristiques d’un keris sont déterminées à partir du nombre de ces lumbang rai. Seuls les keris d’une longueur de 13, 14 ou 15 rais apportent bonheur, paix et chance à leur propriétaire. Les keris plus longs ou plus courts apportent malheur ou peuvent être dangereux pour ceux qui les possèdent, bien que certains puissent être bénéfiques seulement s’ils sont conservés au domicile et jamais utilisés à l’extérieur.
Une autre façon consiste à mesurer le keris avec la largeur du pouce du propriétaire. Celui-ci place son pouce droit en travers de la lame à partir de la poignée. Il place ensuite son pouce gauche à côté, puis à nouveau son pouce droit et son gauche, ainsi de suite jusqu’à arriver au bout de la lame. Le nombre de pouces nécessaires déterminera qui peut porter la lame : un marchand, un soldat, un subordonné du ro.
Les fabricants de keris étaient considérés comme des personnes vraiment importantes, pas seulement parce qu’ils fournissaient des armes de guerre mais aussi parce qu’ils possédaient les savoirs et pouvoirs magiques nécessaires pour produire ces puissants objets. Ainsi ils formaient un clan à part, le clan despande. Traditionnellement, les pande n’accepteront jamais de l’eau bénite de la part d’un pedanda, prêtre balinais. Ils ont leurs propres temples, leurs propres prêtres et ils considèrent Brahma, le dieu associé au feu (leur principal outil), comme le dieu supérieur.
Le forgeron pande doit pratiquer une série de rituels élaborés et d’interdictions s’il veut fabriquer un keris puissant. Il doit travailler seulement les jours propices. Il doit faire des offrandes au keris tous les jours. Lui ou un autre prêtre doit donner symboliquement vie au keris une fois celui-ci achevé. Le keris doit être traité avec grand respect. Les keris particulièrement puissants sont gardés dans des sanctuaires spéciaux du temple familial et ne sont portés que lors des cérémonies. Certains propriétaires n’accepteront jamais que leur keris soit touché par quelqu’un d’autre. Et il est mal élevé de demander à quelqu’un de voir le keris qu’il porte.
Une offrande spéciale doit être faite au keris chaque année du calendrier balinais, le jour appelé Tumpek Landep. Les visiteurs de passage à Bali verront sans aucun doute automobiles, camions, bus et motos décorés d’offrandes ce jour-là. Lors de cette journée, une offrande doit être faite à chaque arme faite d’acier et la voiture est considérée ici (avec réalisme) comme une arme.
Wayan Dewa
© La Gazette de Bali 2007
Retrouvez ce texte sur le site web de la Gazette de Bali et toutes ses archives depuis juin 2005.